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Je suis venue à la traduction pour une raison très simple. Comme
toute personne qui jongle avec deux langues, entre les auteurs anglophones
lus en version originale, j’en lisais aussi en version française quand je ne
lisais pas d’auteurs français. Seulement voilà, alors que je
dévorais un tome d’une série policière, j’ai buté sur une phrase. Une phrase
qui sonnait faux. Une phrase à la tournure pas du tout française. Une phrase
qui puait la traduction.
L’erreur est humaine, je ne lyncherai donc pas le traducteur (et les
éditeurs pour ne pas avoir tiqué dessus). J’irai même jusqu’à les
remercier : cette phrase a été le déclencheur. Mon goût pour la langue
de Baudelaire m’a amené à l’écriture, celui pour la langue de Byron à la
traduction.
Il m’était alors évident qu’en traduction, il ne s’agissait pas de
traduire du mot à mot mais du sens au sens. Et pour cela, il faut avoir une
aussi bonne connaissance de la culture et de la langue d’origine que de la
culture et de la langue de traduction. Une licence d’anglais ouvre la voie,
la curiosité l’élargie.
La première fois que j’ai entendu parler de traduction cibliste et sourcière,
j’étais en master d’anglais !
Si la connaissance de cette théorie fait partie du processus
d’apprentissage, l’ignorance de cette théorie n’avait jusqu’alors jamais
gênée ma traduction.
La théorie, elle, m’a rebutée.
Le sourcier conserve les particularités de la langue source et de sa
culture, au risque d’obtenir une traduction bancale.
Le cibliste prend le contre-pied et adapte les particularités de la
langue source à celles de la langue cible, au risque d’obtenir une traduction
lisse.
Cibliste ou sourcier, en soi peu importe. Un traducteur n’est jamais
soit l’un soit l’autre, il est à la fois les deux et aucun des deux – ou
alors c’est un théoricien, non un traducteur.
En principe, si l’on traduit un texte d’une langue à une autre, cela
veut bien dire que la langue à traduire est étrangère – quelle belle
lapalissade !
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I came to
translating for a fairly simple reason. As anyone juggling with two
languages, between the readings of English-speaking authors in their original
version, I also read some of them in their French version when I wouldn’t
read French authors. But here the thing, while I was devouring a
book from a detective novel series, I stumbled over a sentence. A sentence
that didn’t seem right. A sentence of really, really poor French. A sentence of
which translation can be smelled a mile off.
To err is human, so
I will not beat the translator’s head off (nor the publishers’ for not having
baulked at it). I will even go as far as thanking them: this sentence was the
trigger. My liking for the French language led me to write, my liking for the
English language to translate.
To me then, it was obvious
that translation was not about translating word for word but meaning for
meaning. And in this light, a translator has to have as good a knowledge of
the source culture and language than of the target ones. A Bachelor degree in
English language paves the way, curiosity broadens it.
The first time I
heard about domestication and foreignization in translation, I was studying
for an English Master degree!
If the knowledge of
this theory is part of the learning process, so far the lack of it had never
hampered my translating.
As for the theory, I
found it off-putting.
The foreignizing
translator keeps the singularities of the source language and culture, at the
risk of getting a weak translation.
The domesticating
translator takes the exact opposite angle and adjusts the singularities of
the source language and culture to those of the target ones, at the risk of getting
a bland translation.
Per se,
domesticating or foreignizing translator, it doesn’t matter. A translator is
in no case either one or the other, he is either both or neither one of them
– or else he is a theorist, not a translator.
In theory, if a text
is translated from a language into another, it means that the language to translate
is foreign – way to state the obvious!
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Prenons cet exemple justement : le terme français lapalissade.
Si vous jetez un œil au site du CNRTL, vous trouverez comme
définition : expression niaise d’une évidence ou d’une banalité.
Etymologiquement et historiquement parlant, l’expression fait
référence à Jacques II de Chabannes, Seigneur de La Palice (1470-1525) et
plus particulièrement à la Chanson de La Palisse, remplie de vérités évidentes et dont l’écriture est
attribuée à Bernard de la Monnoye (1641-1728).
Le terme lapalissade n’a quant à lui été employé la première fois qu’en 1861.
Maintenant, si vous jetez un œil dans le Collins,
vous trouverez la traduction : statement of the obvious.
Si dans le fond, la traduction est juste, pour ce qui est de la forme,
ce n’est pas si évident.
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Let’s take this
very example: the French word lapalissade.
If you take a look
at the CNRTL website, you will find the definition: inane
expression of an obvious fact or of a platitude.
Etymologically and
historically speaking, the saying refers to Jacques II de Chabannes, Lord of
La Palice (1470-1525) and more specifically to The Song of La Palice which is full of self-evident
truths and which writing is attributed to Bernard de la Monnoye (1641-1728).
As for the word itself, lapalissade was first used only in 1861.
If in substance, the
translation is correct; in form it is not that obvious.
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Une lapalissade est un terme idiomatique de la langue
française. Dans l’absolue, il faudrait le traduire par un terme ou une expression
idiomatique anglaise qui aurait en plus une origine similaire à celle de la lapalissade.
Seulement voilà, il faut également prendre en compte le
contexte !
Dans un registre courant, comme c’est le cas de cet article, la
traduction en anglais devra respecter ce registre. L’idéal lors d’une
traduction c’est d’éviter les paraphrases – évitons donc autant que
possible la traduction par une définition. Cela peut paraître anodin, c’est loin de l’être… Traduire c’est respecter la nuance (autant que possible).
Dans un registre de langue soutenu, voire snob, la traduction
pourrait être un gallicisme : pas de réelle traduction donc.
Seulement, en faisant cette distinction, je réfléchis en traducteur
bien ancré dans son 21ème siècle !
En tant que traducteur de la fin 19ème, il y a fort à
parier que ma réflexion aurait été autrement différente. Le terme lapalissade, alors nouveau, alors même qu’il serait d’un
registre courant en français, il serait considéré comme faisant partie d’un registre
de langue soutenu en anglais. Il est fort probable que la traduction du terme
aurait également abouti à un gallicisme.
Au 20ème siècle, le terme alors d’un registre de langue
courant dans les deux langues, il n’y a pas 36 traductions possibles.
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A lapalissade is
an idiom of the French language. In absolute terms, it would have to be
translated into an English idiomatic word or expression with an origin
similar to the one of the lapalissade.
Problem is the
context also has to be taken into account!
In an informal
speech, as it is the case in this post, the English translation will have to
respect this speech. The ideal solution in translation is to avoid
paraphrasing – so let’s avoid translating with a definition as much as
possible. It might seem meaningless, not quite… Translating is respecting the subtlety (as much as possible).
In a formal speech,
a posh one even, the translation could be a gallicism: not a real translation
then.
However, doing this
distinction, I am thinking like a translator deeply rooted in her 21st
century!
As a translator of the
end of the 19th century, it is a safe bet to say that my reasoning
would have been by far different. The word lapalissade, a new one at the
time, even though it would have been of an informal speech in French, it
would have been considered of a formal speech in English. The translation
would have more than likely resulted in a gallicism too.
In the 20th
century, then of an informal speech in both languages, there aren’t all that many translations
possible.
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Comme je le soulignais plus haut, dans l’absolue, il faudrait traduire lapalissade avec un terme ou une expression idiomatique anglaise qui aurait en plus une origine similaire à celle de la lapalissade.
Cependant, si dans les cultures britannique et américaine deux
personnages fictifs sont connus pour souligner l’évidence, les expressions
idiomatiques qui en découlent sont sarcastiques et d’un registre de langue au
mieux courant, au pire plutôt grossier.
Or quelle belle lapalissade ! ici est ni
sarcastique ni ironique, l’exclamation simplement moqueuse souligne
l’évidence du propos qui le précède.
¤ Par simple curiosité, faisons donc une petite parenthèse ¤
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Aforesaid in the
post, I stressed that in absolute terms, lapalissade would have to be
translated with an English idiomatic word or expression with an origin
similar to the one of the lapalissade.
However, if in the
British and the American cultures there are two fictitious characters known
for stressing the obvious, the ensuing idiomatic expressions are sarcastic
and of an informal speech at best, of a rather vulgar speech at worst.
Now quelle belle
lapalissade ! is neither sarcastic or ironic here, the merely teasing
exclamation only stresses the obviousness of the words preceding it.
¤ Just for curiosity’s sake, let’s digress a bit ¤
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Le premier personnage – britannique – Sherlock Holmes a été créé par
Sir Arthur Conan Doyle en 1887 ; la formule « élementaire, mon cher Watson » lui est attribuée en 1929 dans le film Le
retour de Sherlock Holmes, il est supposé la prononcer à chaque fois
que le Docteur Watson exprime des déductions logiques qui lui sont évidentes.
# L’expression idiomatique no shit, Sherlock! est franchement grossière. En français, elle se traduirait par sans
déc’, Sherlock ! ; la version familière no kidding,
Sherlock! par sans blague, Sherlock ! ; la
version courante way to state the obvious, Sherlock! pourrait
se traduire par on ne s’en serait pas douté, Sherlock !
# Une lapalissade est un terme propre à la langue française
– la mondialement célèbre formule de Sherlock Holmes apparaissant à la même
époque dans la culture anglaise et française, il me semblerait maladroit de
traduire quelle belle lapalissade ! par une expression courante
qui ferait référence à Sherlock Holmes ou au Docteur Watson.
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The first character
– british – Sherlock Holmes has been created by Sir Arthur Conan Doyle in
1887; he has been attributed the
catchphrase “elementary, my dear Watson” in the 1929 film The
Return of Sherlock Holmes, every time Doctor Watson expresses inferences
Sherlock Holmes deems obvious, he is supposed to address him with this catchphrase.
# The idiomatic
expression no shit, Sherlock! is quite vulgar. In French, it
would be translated into sans déc’, Sherlock !; the colloquial version no
kidding, Sherlock! into sans blague, Sherlock !; the informal version way
to state the obvious, Sherlock! could be translated into on ne s’en serait
pas douté, Sherlock !
# A lapalissade is
a term specific to the French language – the world famous catchphrase of
Sherlock Holmes coming into being at the same time in both the English and
French cultures, it seems to me that translating quelle belle lapalissade ! into an informal saying referring to Sherlock Holmes or the Doctor Watson
would be clumsy.
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Le second personnage – américain – Captain Obvious
(Capitaine Evidence pour le français récalcitrant) vient de la culture
geek : un super-héros souvent assimilé à John Madden,
commentateur sportif et ancien joueur de football américain notamment connu
pour sa manie d’enfoncer des portes ouvertes.
# Les expressions idiomatiques « Thank you, Captain Obvious » et « Captain Obvious to the rescue! » – respectivement « Merci, Captain
Obvious » et « Captain Obvious à la rescousse ! » en
français – sont toutes deux d’un registre argotique.
# Dans le contexte de cet article – de registre courant mais non
argotique – la culture geek ne faisant pas forcément partie de la culture
générale de tout un chacun, traduire quelle belle
lapalissade ! par une expression courante qui ferait référence à
Captain Obvious serait incorrect.
# Toujours dans la culture geek, il est à noter que depuis
l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux de Tolkien par Peter
Jackson, l’elfe Legolas Vertefeuille interprété par Orlando Bloom est aussi surnommé
Captain Obvious pour sa fâcheuse tendance à énoncer des évidences : la
réplique qui a fait le buzz « ils emmènent les Hobbits en
Isengard » en est un parfait exemple.
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The second character
– American – Captain Obvious (Capitaine Evidence for the rebellious
French) comes from geek culture: a superhero often compared with John Madden, color commentator and former American
football player notably known for his quirk of stating the obvious.
# The idiomatic
expressions “Thank you, Captain Obvious” and “Captain Obvious to the rescue!” – respectively “Merci, Captain
Obvious” and “Captain Obvious à la rescousse !” in French – are both of a slang speech.
# According to the
context of this post – of an informal speech but not a slang one – the geek
culture not necessarily being part of the general culture of each and every
person, translating quelle belle lapalissade ! with an informal saying
referring to Captain Obvious would be wrong.
# In the geek
culture still, it is to be noted that since the Peter Jackson’s screen adaptation
of Tolkien’s Lord of the Rings, the elf Legolas Greenleaf played by Orlando
Bloom is also nicknamed Captain Obvious for his unfortunate habit to state
the obvious: the line that went viral “they’re taking the Hobbits in
Isengard” is one perfect example.
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¤ Fin de la petite parenthèse ¤
Pour en revenir à la traduction même de quelle belle
lapalissade ! Il s’avère que les références à Sherlock Holmes ou
à Captain Obvious sont à exclurent pour les raisons déjà exprimées.
On peut donc faire une croix sur le terme ou l’expression idiomatique
anglaise qui aurait une origine similaire à celle de la lapalissade.
Cela nous laisse encore l’expression idiomatique !
Certes, plus haut dans l’article, j’ai dit qu’il valait mieux éviter
les périphrases en traduction. Ceci dit, elles sont parfois inévitables. Qui
plus est quand l’expression idiomatique d’une langue revient à définir
l’expression idiomatique d’une autre langue !
C’est le cas ici. L’expression idiomatique way to state the
obvious, Sherlock! évoquée plus haut est en partie la réponse finale.
Non seulement il serait maladroit de conserver ici Sherlock pour la simple et bonne raison que si le personnage de Sir Arthur Conan Doyle
est mondialement connu, La Palice et la lapalissade appartiennent uniquement à la culture française ; cela serait surtout
incorrect parce que conserver Sherlock reviendrait à conserver
le sarcasme de l’expression.
Way to state
the obvious! devient alors une exclamation simplement moqueuse. D'où le choix de cette expression pour traduire quelle belle lapalissade !
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¤ End of the little digression ¤
Let’s come back to
the very translation of quelle belle lapalissade ! It turns out that
references to Sherlock Holmes or to Captain Obvious are to be excluded for
the reasons aforementioned.
So the English
idiomatic word or expression with an origin similar to the one of the lapalissade can be kissed goodbye.
That still leaves us
with the idiomatic expression!
Granted, earlier in
this post, I said that paraphrasing better be avoided in translation. Having said this, sometimes they
are unavoidable. Let alone when the
idiomatic expression of one language comes down to defining the idiomatic
expression of another language!
This is case here. The
idiomatic expression way to state the obvious,
Sherlock! aforementioned is part of the final answer.
Not only would it be
clumsy to keep Sherlock here for the simple and good reason that if the
character of Sir Arthur Conan Doyle is world famous, La Palice and the lapalissade solely belong to the French culture; it would also and surely
be wrong since keeping Sherlock would come down to keeping the sarcasm of
the expression.
Way to state the
obvious! then merely becomes a teasing expression. Hence the choice of this saying for the translation of quelle belle lapalissade !
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Toute cette démonstration pour dire que si l’on a besoin de théorie
dans la traduction, ce qui en fait son essence même est bien la pratique.
Je n’ai pas réfléchi en tant que cibliste ou sourcier, j’ai réfléchi
en termes de contexte et de culture. Chaque langue, chaque culture a sa
richesse. Pourquoi vouloir évincer une langue pour favoriser l’autre ?
Pourquoi instaurer une hiérarchie entre les langues ? Les langues sont
complémentaires. Les cultures sont riches de leurs singularités.
Je finirai cet article sur la réflexion d’un traducteur – Brice
Matthieussent :
Ni sourcier, ni cibliste, je suis empirique. |
The bottom line of
all this demonstration is that if the theory is needed in translation, the
very core of it really is practice.
I didn’t think as a
domesticating or a foreignizing translator, I thought in terms of context and
culture. To each language its richness, to each culture its wealth. Why oust
a language to favour the other? Why organise languages into a hierarchy? Languages
are complementary. The treasures of cultures are their singularities.
I will conclude this
post on a translator’s thought – Brice Matthieussent’s:
Neither foreignizing or domesticating, I am an empirical translator. |
30 mai 2014
[Fr] Quelle belle lapalissade ! ¤ [En] Way to state the obvious!
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